Quels mécanismes peuvent pousser les gens à se retirer du monde ? Une question souvent posée tant le syndrome hikikomori fascine depuis quelques années. Révélateur d’une crise intérieure profonde, ce trouble de la personnalité proche du syndrome de Diogène engendre lui aussi un isolement extrême, mais diffère par ses causes et ses manifestations.
Le syndrome hikikomori, qu’est-ce que c’est ?
Le terme « hikikomori » apparaît au Japon dans les années 1990. Défini par le psychiatre japonais Tamaki Saito en 1998, le trouble se caractérise par un repli total de la personne sur elle-même durant une période définie par le gouvernement japonais comme au moins égale à 6 mois. Toutefois, certains hikikomori vivent reclus pendant plusieurs années.
Il est formé de deux idéogrammes : Hiku « tirer vers soi » et Komori « s’enfermer ».
Historiquement, le phénomène est d’abord lié au contexte économique. À la fin du XXe siècle, le Japon traverse une grave crise qui pousse les personnes impactées, honteuses d’afficher une situation financière dégradée, à se couper des autres. Or, au Japon, les hommes sont encore majoritairement responsables des revenus familiaux. C’est pourquoi ils représentent la plupart des hikikomori.
Aujourd’hui, ces Japonais qui ne sortent pas de chez eux sont toujours majoritairement masculins et âgés de 15 à 35 ans. Ils vivent une réclusion volontaire depuis leur chambre ou leur appartement, ne travaillent pas, ont stoppé leurs études et passent leurs journées à lire des mangas, sur leur ordinateur ou à jouer aux jeux vidéo.
Leur rythme de vie s’en trouve fortement impacté : troubles du sommeil, apathie, anhédonie (perte de la capacité à ressentir le plaisir) et, selon les cas, négligence progressive de leur environnement.
Toutefois, pour de nombreux chercheurs, le phénomène ne serait lié à aucune pathologie psychiatrique, quand d’autres évoquent une dépression atypique, des troubles autistiques, une phobie sociale ou encore un trouble de la personnalité d’origine schizoïde.
En 2016, selon le « Rapport de recherches sur la vie des jeunes » publié par le bureau du cabinet du Japon, le pays compte 540 000 hikikomori chez les 15-39 ans. En 2019, une nouvelle étude, cette fois menée auprès de personnes âgées de 40 à 64 ans, n’en dénombre pas moins de 613 000. Au total, ils seraient plus d’un million à vivre isolés, en marge de la société.En France, comme aux États-Unis, en Espagne ou en Corée du Sud, le phénomène est plus récent bien qu’aussi existant, mais à une moindre échelle. Aussi, il est difficile d’en répertorier le nombre de cas.
Hikikomori, un syndrome primaire ou secondaire ?
Le syndrome primaire est autonome et sans pathologie sous-jacente. Le syndrome secondaire, celui qui concerne la plupart des jeunes hikikomori au Japon, en France et partout dans le monde, serait la conséquence d’un trouble médical antérieur identifiable, mais pas toujours diagnostiqué.
Hikikomori et Diogène
Le syndrome de Diogène se caractérise par un repli sur soi, une indifférence totale aux normes sociales, une extrême négligence de l’hygiène personnelle, un désordre chaotique et l’accumulation compulsive d’objets de toutes sortes qui confine souvent à l’insalubrité.
Ainsi, l’enfermement volontaire est son point commun avec hikikomori. En revanche, Diogène affecte plutôt les personnes âgées souffrant de troubles cognitifs ou psychiatriques. De plus, l’accumulation compulsive d’objets et l’incurie ne font pas partie des symptômes liés à hikikomori.
Quels sont les signes avant-coureurs du hikikomori ?
Principalement observé chez les jeunes adultes, ce phénomène d’isolement excessif, voire total d’une durée supérieure à six mois, s’installe progressivement et reste donc difficile à anticiper. Ainsi, comment vivent les hikikomori ?
- Une claustration extrême
- La personne se retire de la société, limitant ses interactions sociales à un strict minimum. Elle se coupe de l’école, du travail, de ses amis et de tout autre type de relation extérieure. Une solitude autant souhaitée que subie, antérieure ou conséquence d’une phobie sociale, d’une déception, d’un sentiment d’échec ou encore d’une grande anxiété.
- Un confinement à domicile
- L’individu passe la majorité de son temps enfermé dans sa chambre ou chez lui, refusant de sortir et même de parler aux autres. S’il le peut, il s’en remet à ses parents ou à ses proches concernant ses besoins quotidiens (alimentaires par exemple).
- Le dérèglement du rythme de vie
- Du fait de leur réclusion volontaire, ces personnes développent souvent un rythme de vie décalé qui les coupe encore un peu plus du monde réel. Comme désynchronisées, elles passent leurs journées à dormir et leurs nuits éveillées.
- Un état émotionnel fragile
- La dépression, l’anxiété, des troubles obsessionnels compulsifs (TOC), une faible estime de soi, un sentiment de honte ou d’échec… peuvent également se présenter ou constituer un terreau fertile.
Comment devient-on hikikomori ?
En l’état des connaissances actuelles, le syndrome hikikomori s’installe principalement en raison d’une pression sociale intense, notamment au Japon où la réussite scolaire et professionnelle est absolument primordiale. Un sentiment d’échec, la peur de ne pas répondre aux attentes ou de ne pas pouvoir se conformer à la société, pousse certaines personnes à s’isoler pour éviter la honte ou le jugement.
L’anxiété sociale, renforcée par l’individualisme des sociétés modernes, joue possiblement un autre rôle important. Pour qui souffre de phobies sociales ou de troubles similaires, la solitude devient une échappatoire.
S’il ne compte pas parmi les causes directes, un soutien familial prolongé encourage les personnes concernées à rester isolées à l’écart de la société.
Enfin, la stigmatisation ou l’incompréhension vis-à-vis des troubles mentaux empêche ces personnes de chercher et de trouver de l’aide. De plus, les mondes virtuels et la technologie offrent un refuge confortable, suffisamment éloigné du monde réel.
Comment aider un proche concerné par le syndrome hikikomori ?
Pour les médecins et pour les spécialistes de ce trouble, les hikikomori secondaires, les plus nombreux chez les jeunes, nécessitent une prise en charge médicale et des soins psychiques ou psychiatriques adaptés à la nature de leur pathologie première.
Les hikikomori primaires, quant à eux, pourront être aidés par la compréhension des mécanismes qui les conduisent à l’isolement social et par un accompagnement sociocommunautaire (soutien et interactions au sein d’un groupe).
Une prise en charge malgré tout complexe puisque, comme pour Diogène, ni les uns ni les autres n’en sont demandeurs.